SAHAR SAÂDAOUI
AUGURE DES SIGNES
Artiste exposé en partenariat avec La Patinoire Royale – Galerie Valerie Bach
Qui n’a pas expérimenté, dans son enfance, le lien magique qui nous lie à la réalité, et qui semble donner à toute chose, à toute manifestation inattendue, à tout fait du hasard, une logique, une explication, une nécessité ? Comme si une secrète et transcendante instance organisait mystérieusement le chaos du réel, enchâssée dans la banalité, tapie au creux du flou magmatique du monde, silencieuse et invisible, n’attendant qu’un enfant, qu’un être pur et vierge, pour en révéler l’existence par une preuve mathématique, par un code. Telle est la vocation de Sahar Saâdaoui.
L’augure romain pratiquant l’art divinatoire, lisait les présages, en maître des signes, grâce aux auspices : presque toutes les décisions cruciales, telles le départ en campagne, la désignation d’un homme politique, l’emplacement d’un temple, étaient conditionnées par la lecture experte d’un professionnel du signe caché, ce prêtre-ministre porté en très haute considération par la société d’alors. Il était le catalyseur par lequel passait la vérité du mystère, il lisait le monde, il le liait aux Dieux ; en pontifex (faiseur de pont), il décodait le réel. Ce qui n’apparaît pas au commun des mortels, l’augure des signes le manifeste.
Sahar est cet augure contemporain, cette pythie artistique, qui, attentive aux détails, éveillée à la langue secrète des symboles, perspicace aux indices, nous donne à décoder le réel à travers son système crypté de points positionnés sur une grille analytique, reproduisant les vingt-six lettres de l’alphabet. Car le Verbe créateur est fait de mots et les mots sont faits de lettres.
Elle décline à l’infini ce code ponctué suivant des modes d’expression d’une grande finesse, d’une immense sensibilité, traçant au crayon de couleur la grille régulatrice de ces grands soleils de fils, parcourus eux-mêmes de fils d’or, dont le nombre symbolise la lettre que chacune de ces fleurs incarne.
Tout se tient dans son travail : elle joue et déjoue l’apparente simplicité du système alphabétique en autant d’œuvres qui se répondent, se complètent, structurant par quatre les cadres qui eux-mêmes, dans une mise en abyme, développent d’autres quadrillages, récupérant les chutes de tissus tombées du découpage de lettres, pour les superposer en de subtiles transparences, enfermées parfois dans des boîtes vitrées qui en sont les châsses modernes, comme pour en souligner la préciosité et la fragilité, le caractère de reliques. Dans ce cas, le code, de linéaire ou ponctué, devient volume, superposition, filigrane.
De la rigueur à la liberté, son œuvre textile est une promenade dans le champ illimité des possibles, dans lequel elle nous entraîne, à sa suite, comme des initiés. Car le code est disponible, la clé est donnée, il nous sut de nous en munir dans une expérience extrêmement jouissive.
Ne sommes-nous pas souvent frappés, par hasard apparemment, par l’incroyable récurrence d’un chiffre, au cours de la journée, par l’occurrence inexplicable d’un même mot, d’une séquence de lettres identiques, sur des supports ou dans des lieux différents ?
Nous attribuons ces phénomènes au hasard, à ce ‘nom que prend Dieu pour passer incognito’, considérant que ce ne sont là que facéties du destin, farces du réel, tours de force de combinaisons aléatoires. Et pourtant…
Ces constatations font incontestablement appel à un profond sens du rituel, du surnaturel, du superstitieux qui habite chaque enfant et plus tard, les adultes qui le sont restés. Car cette transparence au code, cette curieuse propension à décrypter le réel sont souvent érodées par notre brutal rapport à celui-ci, par la positiviste évidence du vrai et du contingent.
Sahar Saâdaoui, elle, chante au contraire cette parfaite maîtrise du code, elle nous le fait voir tout en finesse et douceur, elle cherche à décrypter l’insondable mystère du monde, pour sortir de l’aléatoire apparent par un travail d’observation et de structuration. L’alphabet romain et, partant, la plupart des écrits du monde sont potentiellement contenus dans cette œuvre qui touche à l’ineffable, tant sont saisis, au sens d’agrippés et de compris, les éléments constitutifs du code alphabétique, dans une perspective poétique de réunification illimitée et indicible.
Texte de Valérie Bach et Constantin Chariot
la PATINOIRE ROYALE – Galerie VALERIE BACH